Depuis le 9 septembre, plus de 330 personnes ont été hospitalisées après avoir été exposées à des fuites de substances toxiques provenant d’un complexe industriel de Gabès, dans le sud de la Tunisie, dédié à la production de phosphate. Les habitants réclament la fermeture de l’ancienne installation chimique, alors que le gouvernement cherche à quintupler la production de phosphate et d’engrais chimiques d’ici 2030, un secteur vital pour l’économie nationale.
Cette situation ouvre-t-elle la voie à un conflit ouvert entre l’État tunisien et la population de Gabès ? La ville du sud est un centre important de l’industrie pétrochimique depuis les années 1970, où se trouve depuis 1972 la principale installation de production de phosphate appartenant au Groupe chimique général tunisien (GCT).
Plus de 330 blessés depuis le 9 septembre
La pollution dans la région est un problème chronique, mais elle s’est fortement aggravée depuis le 9 septembre, lorsqu’une fuite de gaz et de substances toxiques provenant de l’installation a blessé au moins 330 personnes. Le 13 octobre, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues de la ville, scandant « le peuple veut la fermeture de l’installation ».
Face au silence du Groupe chimique tunisien et de l’exploitant de l’installation, le dossier s’est transformé en affaire judiciaire. Un groupe d’avocats de Gabès, au nom des familles des enfants empoisonnés, mène une campagne pour poursuivre l’entreprise en justice.
Mehdi Telmoudi, chef du comité de défense, a déclaré à l’AFP : « Une première plainte sera déposée prochainement devant le tribunal de première instance de Ghabs pour faire cesser les opérations des unités contaminées, et une seconde pour démanteler l’ensemble du cluster ».
Les phosphates : Une source de revenu national
L’État affirme répondre à la souffrance des personnes touchées, mais il est confronté à un véritable dilemme. L’extraction du phosphate et sa transformation en engrais chimiques constituent, avec le tourisme, une source majeure de devises fortes pour l’économie fragile de la Tunisie.
Les prix du phosphate et des engrais ont connu une hausse remarquable ces dernières années grâce à la demande mondiale, notamment avec la guerre en Ukraine, premier producteur mondial d’engrais chimiques.
Le président Kais Saied a souligné que les phosphates constituent une « épine dorsale fondamentale » de l’économie tunisienne. Lors d’un conseil des ministres tenu le 6 mars, le gouvernement a fixé un objectif quinquennal consistant à doubler la production d’engrais phosphatés d’ici à 2030, pour la faire passer d’environ 3 millions de tonnes à 14 millions de tonnes. Le secteur représente actuellement plus de 10 % des exportations tunisiennes, d’une valeur de plus de 2 milliards de dollars.
Le président tunisien a envoyé une équipe d’urgence des ministères de l’industrie et de l’environnement, malgré le scepticisme des experts quant à la possibilité d’assainir le site.