Dans le nord-ouest de la Tunisie, les femmes cueilleuses d’herbes médicinales et aromatiques voient leur quotidien bouleversé par les conséquences du changement climatique. À Tbainia, un village situé près d’Aïn Draham, une coopérative locale lutte pour s’adapter à l’assèchement des sources d’eau et à la diminution des ressources naturelles.
Des revenus en chute libre
Mabrouka Athimni, 62 ans, dirige la coopérative « Al Baraka », créée il y a environ deux décennies pour soutenir les familles de la région. Elle décrit une situation alarmante : « Nos revenus ont été réduits de moitié, parfois d’un tiers. La pénurie de pluie, devenue récurrente, affecte directement notre activité », déplore-t-elle.
Les cueilleuses, qui récoltent traditionnellement du romarin, du thym, de l’eucalyptus ou du lentisque dans les forêts environnantes, utilisent ces plantes pour produire des huiles essentielles et des produits médicinaux. Cependant, le manque d’eau diminue la production d’huiles, fragilisant leur activité.
Un contexte de sécheresse prolongée
La Tunisie connaît sa sixième année consécutive de sécheresse, avec un taux de remplissage des barrages tombé à seulement 20 % – un niveau historiquement bas. Les montagnes, autrefois alimentées par les pluies et la neige, souffrent d’une raréfaction des précipitations, ce qui impacte directement la végétation.
Dans ce contexte difficile, les femmes de Tbainia, qui représentent une part importante de la main-d’œuvre agricole du pays, ressentent durement les effets des températures extrêmes, atteignant parfois plus de 50 degrés en été.
Un avenir incertain pour les cueilleuses
Mongia Soudani, 58 ans, explique que son travail au sein de la coopérative est désormais en péril : « Avant, je pouvais remplir trois ou quatre sacs d’herbes par jour. Aujourd’hui, si j’en remplis un seul, c’est déjà beaucoup. » Avec un taux de pauvreté atteignant 26 % dans le village, la récolte de plantes reste une activité vitale pour de nombreuses familles.
Les incendies, aggravés par la sécheresse et les températures élevées, ont également détruit une partie des ressources naturelles. L’été dernier, 1 120 hectares de forêt ont été ravagés par les flammes près de Tbainia, accentuant encore la crise.
Vers une adaptation nécessaire
Face à ces défis, des formations ont été proposées par des organismes internationaux comme la FAO pour aider les cueilleuses à gérer durablement les ressources forestières. Néanmoins, Mabrouka Athimni souligne les limites de ces initiatives : « Je ne peux plus répondre à toutes les commandes, la récolte est insuffisante, et nous perdons des clients. »
Une mise en œuvre limitée des politiques climatiques
Malgré la ratification de l’Accord de Paris en 2015, la mise en œuvre des engagements environnementaux de la Tunisie reste incomplète, selon une étude du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). L’absence de politiques intégrant une approche sensible au genre aggrave la situation, les femmes étant en première ligne face aux impacts du changement climatique.
Pour survivre, certaines cueilleuses envisagent de diversifier leurs activités, car dépendre uniquement des ressources naturelles semble de moins en moins viable. Bochra Ben Salah, l’une d’entre elles, exprime un sentiment de désarroi : « Nous n’avons d’autre choix que d’espérer un changement… ou la clémence de Dieu », confie-t-elle en regardant son panier presque vide.